1. Préface

(version du 23/01/92)

L’histoire des entreprises est une discipline nouvelle, à cheval sur l’histoire académique, savante, le journalisme, elle utilise de l’une et de l’autre, flirte parfois avec l’hagiographie et n’est vraiment intéressante que lorsqu’elle éclaire notre environnement économique.

Toutes les entreprises sont intéressantes pour leurs collaborateurs, leurs clients et leurs fournisseurs. Certaines le sont aussi pour un public plus large. C’est le cas des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne. Cette entreprise est tout à la fois très connue (qui n’a vu une fois au moins son sigle sur un journal, un camion ou un wagon?) et secrète. On la devine puissante, elle l’est effectivement, mais ce n’est qu’en entrant dans le détail de son histoire que l’on découvre son rôle dans l’invention et le développement de la presse d’après-guerre. Qu’elle soit quotidienne ou hebdomadaire, la presse française, est ce que les NMPP qui la distribuent sur tout le territoire l’ont faite.

Ne serait-ce que pour cela, il était intéressant d’écrire son histoire. Mais c’était aussi intéressant à un autre titre. Créées au lendemain de la dernière guerre, les NMPP sont l’une des plus intéressantes illustrations de la différence française dès qu’il s’agit d’économie. Là où d’autres auraient laissé joué les lois du capitalisme, les Français, hommes politiques et professionnels confondus, ont préféré domestiquer le marché et inventer une variété assez rare de ce que l’on appelle aujourd’hui "l’économie mixte" : la coopérative de clients.

- elle est, enfin, un témoin de la modernisation de la France. A travers l’histoire de cette entreprise parisienne qui fut tout à la fois l’une des plus traditionnelles et des plus modernes, se lisent les efforts, les efforts menés par des générations successives de cadres pour créer une entreprise moderne.

Cette entreprise fut aussi l’un des bastions forts de la CGT et du système de levier que le Parti communiste avait mis en place au lendemain de la guerre. A faire son histoire, on voit comment une organisation syndicale peut construire son pouvoir dans les ateliers et devenir le seul interlocuteur des ouvriers face à la direction.

La seconde difficulté est de trouver des sources. Les techniques de l’historien, homme d’archives, de dossiers et de documents gelés ne sont guère applicables dans une institution aussi récente qui n’a pas conservé d’archives. Seules les techniques du journaliste, les entretiens prolongés, et du documentaliste, la consultation systématique de la presse, et la confrontation des unes et des autres permettent de travailler.

La dernière difficulté est de travailler sur un organisme vivant. Les acteurs interrogés sont, pour beaucoup, encore en activité. Ils ont des enjeux, des conflits. Ils vivent l’histoire immédiate, celle qu’ils ont vécue, comme un instrument de pouvoir. Tout le monde n’a pas accepté de me recevoir. Plusieurs éditeurs ont marqué la plus grande réserve devant ce projet. Certains, puissants, ont voulu l’interrompre. Ce furent souvent ceux qui parlent le plus souvent dans leurs discours de la liberté d’expression. Les plus favorables à ce projet furent les cadres supérieurs de l’entreprise qui souhaitaient se mettre en valeur à travers leur société, les plus hostiles les éditeurs qui se méfiaient de toute lumière sur une institution qu’ils savent insolite et donc fragile.

Il faut démêler, non le vrai du faux, mais l’important du dérisoire. Chaque action de quelque importance est revendiquée par les deux partis avec la même force. Hachette a récemment vendu l’immeuble des NMPP, rue Réaumur, dans ce qui fut l’une des plus mauvaises opérations immobilières pour l’acheteur. A qui revient le mérite d’une opération qui rapporta des sommes considérables aux éditeurs? A la direction générale des messageries qui la négocia ? Ou aux éditeurs membres du conseil de gérance des NMPP? A travers ces conflits, c’est de pouvoir qu’il s’agit. Nous y reviendrons longuement.

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