2. Introduction

Au 111 de la rue Réaumur, au coin de la rue Paul Lelong, il y a un grand, un bel immeuble de six étages. Pour qui le regarde depuis la rue Montmartre, il a l'allure d'un de ces grands navires qui emmenaient autrefois les millionnaires en Amérique. Les messageries de la presse parisienne y sont nées, en 1887. Elles y ont vécu pendant plus d'un siècle. Des fenêtres de son bureau, au troisième étage, le directeur général trône sur ce qui fut le quartier de la presse. Le café où Jaurès fut assassiné en 1914, l'imprimerie de France-Soir, l'administration du Figaro, la salle de rédaction du Parisien Libéré… toute la presse de Paris est là, à quelques encablures.

Le bâtiment est récent. C'est une de ces grandes constructions sans grâce ni charme que l'on trouve dans le Paris qui travaille. Mais il est l'héritier d'une longue et vieille tradition. Il a été construit à l'emplacement même des Messageries Royales, très vénérable institution qui passait, au début du siècle dernier pour la plus recommandable des sociétés faisant profession de transporter voyageurs et marchandises. Dés le début de la Troisième République, des journaux s'y installent, y font leurs expéditions, y préparent leurs envois vers la province.

En un siècle, les messageries de la presse parisienne, ont souvent changé d'identité, de statut mais elles sont restées fidèles à l'intuition de leur fondateur, un cadre supérieur de la Librairie Hachette : Eugène Delesalle. Le premier, il comprit le parti que la distribution de journaux pouvait tirer du groupage de plusieurs colis. Le premier, il vit que l'on pouvait cumuler économies dans le transport et dans la gestion (on disait alors, plus simplement, comptabilité).

Les NMPP dont ce livre raconte l'histoire sont les héritières directes de l'entreprise créée par Eugène Delesalle et devenue, entre les deux guerres, sous la direction de son successeur, René Schoeller, une puissance redoutable. Leurs moyens sont différents, les services qu'elles rendent aux entreprises de presse se sont enrichis, multipliés, mais leur vocation n'a pas varié : distribuer, transporter et vendre, les journaux partout en France et dans le monde. Elles sont nées d'une loi votée en 1947, au lendemain de la guerre, dans une période où l'on redéfinissait toutes les règles du jeu d'une industrie pas tout à fait comme les autres : la presse. Elles se sont développées dans ce que l'on a appelé les trente glorieuses, ont connu, comme beaucoup d'autres, la crise puis le rebond. Elles ont accompagné la presse dans toutes ses évolutions : érosion des ventes des quotidiens nationaux, naissance puis croissance rapide d'une presse hebdomadaire, internationalisation des groupes d'édition…

Faire l'histoire des NMPP, c'est, d'abord, raconter comment des éditeurs et des professionnels des messageries ont su s'associer, au lendemain de la guerre, au service autour d'une mission éminemment politique : la défense de la liberté d'opinion.

C'est, aussi, montrer comment l'outil de distribution que ces hommes ont construit a structuré la presse, l'a aidée à se développer, à être ce qu'elle est aujourd'hui devenue.

La plongée dans 40 ans d'histoire des NMPP éclaire deux des traits distinctifs de la presse française :
- la création, au lendemain de la guerre, et le maintien, depuis, d'une presse parisienne à vocation nationale ;
- le développement fantastique des publications hebdomadaires et mensuelles au début de la Vème République qui a fait de la France le premier consommateur mondial de cette presse.

Faire cette histoire, c'est encore suivre les grandes phases du développement d'une entreprise qui a su être, dés ses débuts, et est restée depuis un pionnier :
- pionnier dans les techniques de vente puisqu'elle a créé le premier réseau national de vente moderne,
- pionnier dans les techniques de traitement de l'information (mécanographie, informatique…),
- pionnier, enfin, dans ce qui est le cœur de son métier : la logistique.

Plus que sur des archives, d'un accès difficile, cette histoire a été écrite à partir de la mémoire vivante de ceux, cadres, employés et ouvriers, éditeurs et dépositaires qui ont bâti cette entreprise et l'ont fait vivre. Les témoignages d'une trentaine d'acteurs directs ont ainsi été recueillis, analysés et rapprochés des documents dont la consultation fut possible : compte-rendu du Conseil Supérieur des Messageries de Presse, des assemblées générales des coopératives, articles publiés dans la presse professionnelle ou, exceptionnellement, dans la presse grand public…

D'une histoire, on attend qu'elle révèle les permanences, qu'elle souligne les continuités. Celle-ci ne manque pas à la règle. Héritière d'une vieille tradition, les NMPP ont longtemps gardé des traits directement venus du passé : qui veut comprendre son organisation, son management, la structure de son réseau doit se retourner sur les messageries d'avant-guerre.

Mais on attend aussi d'une histoire qu'elle repère les ruptures, qu'elle décèle les discontinuités dans un quotidien toujours semblable à lui-même. L'examen de ces documents, l'écoute de ceux qui ont participé à cette formidable aventure, laissent identifier cinq grandes périodes :
- de 1947 au début des années 50, c'est l'âge des fondations : un éditeur, Henri Massot, et un professionnel des messageries, Guy Lapeyre, construisent l'entreprise ;
- de 1953 à 1957, l'organisation héritée des années d'avant-guerre est modernisée : les messageries partent à la conquête de l'espace intérieur français, créent un réseau de boutiques d'avant-garde ;
- dans les premières années de la 5ème République, les NMPP accompagnent le fantastique développement des publications, s'adaptent à ce qui est une véritable révolution ;
- la fin des années 60 s'ouvre sur une crise : les éditeurs, emmenés par Emilien Amaury, le puissant patron du Parisien Libéré, et Jacques Sauvageot s'opposent à la direction générale de l'entreprise. Toute la décennie suivante sera marquée par la volonté du Directeur Général, Jean Bardon, de rétablir cette confiance sans gêner les évolutions d'une entreprise qui évolue rapidement, se mécanise et restructure en profondeur son réseau ;
- dans la dernière période, enfin, celle qui commence au milieu des années 80, le formidable navire d'Henri Massot et Guy Lapeyre prend le grand large sous la houlette d'un nouveau Directeur Général : Etienne-Jean Cassignol. Aux groupes internationaux qui se sont imposés dans le monde de la presse, il propose une entreprise moderne qui offre le plus bel outil de distribution de la presse que l'on puisse trouver en Europe, le plus dynamique et… le plus compétitif.

Les NMPP ont aujourd'hui quitté la rue Réaumur et un quartier que la presse a progressivement déserté. Elles se sont installées, en 1991, dans le 12ème arrondissement dans un immeuble qui privilégie la lumière et la transparence. La géographie de Paris a changé. Les exigences d'une entreprise moderne aussi…

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