6. Une bonne loi

Quarante ans plus tard, cette loi conçue dans une période de turbulence, écrite rapidement, votée plus vite encore, vit toujours. Personne ne la conteste plus.

Son texte /L'essentiel est dans les deux premiers qui affirment que "la diffusion de la presse imprimée est libre" et que le "groupage et la distribution de plusieurs journaux ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de presse". Tout journal qui en fait la demande doit être admis dans les sociétés coopératives dont la gestion est soumise à un certain nombre de contrôles. Ces sociétés peuvent, si elles le souhaitent, déléguer les opérations matérielles de messagerie à des sociétés commerciales, mais elles doivent alors en conserver le contrôle.

Ces contrôles sont assurés par un Conseil Supérieur des Messageries dont le rôle est "de coordonner l'emploi des moyens de transports à longue distance" et "d'assurer le contrôle comptable."

Cette loi fait de la France une exception. Il n'existe aucune disposition similaire en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

Dans beaucoup de pays, les seuls textes réglementant la distribution traitent de la vente illégale ou de la vente de publications clandestines. Ailleurs, la loi prévoit des aides financières : un arrêté autrichien de 1953 permettait la distribution postale gratuite des journaux de moins de 20 grammes ; les chemins de fer belges accordent à la presse des tarifs préférentiels. Seule la Suède semble s'être souciée d'une diffusion impartiale : l'administration y a constitué des sociétés de distribution qui garantissent un traitement identique à tous les titres. A l'inverse, la loi permet, en Suisse, des contrats exclusifs entre propriétaires de journaux et agences de diffusion.

Ces exemples étrangers indiquent que l'on aurait pu assurer la liberté d'opinion par d'autres voies. Ils montrent aussi ce que notre système doit au contexte historique dans lequel il a été développé.

Un modèle d'économie mixte

Cette loi appartient au lot de celles qui, à la libération, ont été votées sur la presse, elle en partage l'esprit. Ses rédacteurs se sont attachés à définir un système qui permette d'échapper à la corruption, au pouvoir de l'argent qui avaient marqué la presse de la Troisième République.

En refusant aussi bien la nationalisation du système de distribution que la reconstitution des messageries Hachette, ils ont développé un modèle d'entreprise original, qui relève de ce que l'on appelait déjà l'économie mixte.

Ce modèle, qui parait largement inspiré de la réflexion démocrate-chrétienne sur l'entreprise, privilégie les médiations. Il multiplie les points de contact, les espaces de dialogue : coopératives, conseil supérieur, conseil de gérance… les acteurs, éditeurs, prestataires de service qui transportent la presse… ont mille occasions de traiter un conflit par la négociation avant qu'il n'éclate.

Il intègre les ouvriers et les associe à la réussite de l'entreprise : l'article 13 précise qu'une fraction au moins égale à 25% des excédents résultant de la gestion doit être attribuée à l'ensemble du personnel de l'entreprise. On n'est pas très loin des idées gaullistes sur la participation : l'entreprise est une communauté, tous doivent pouvoir profiter des résultats de son activité.

Il relègue l'Etat dans un rôle secondaire. Les auteurs de la loi s'en méfient comme ils se méfient du marché qui n'assure pas un traitement impartial pour tous. Il leur préfère un mécanisme de type démocratique : gros ou petits, les éditeurs membres d'une coopérative ont les mêmes droits. Dans son article 10, la loi précise :
"quelque soit le nombre des parts sociales dont il est titulaire, chaque sociétaire ne pourra disposer, à titre personnel, dans les assemblées générales, que d'une seule voix." (article 10)

Le souci de donner à tous le même accès au système de distribution est la pierre angulaire de la loi.

Ce texte n'interdit pas de faire appel à des sociétés commerciales, mais il retire au propriétaire des moyens de production le pouvoir de décision qu'il confie à une structure où les éditeurs sont majoritaires :
"si les sociétés coopératives décident de confier l'exécution de certaines opérations matérielles à des entreprises commerciales, elles devront s'assurer d'une participation majoritaire dans la direction de ces entreprises, leur garantissant l'impartialité de cette gestion et la surveillance de leurs comptabilités." (article 4)

Toujours dans la même veine "anticapitaliste", il remplace le bénéfice qui sert à rémunérer le capital par la notion d'excédent ou de trop perçu qui mesure l'écart entre un prix de revient estimé et le prix de revient réel. L'objectif du capitaliste est, selon la théorie, de maximiser son profit, celui du gestionnaire de coopérative, inverse : il n'y a d'excédent que parce qu'il ne sait pas estimer correctement ce que seront les coûts futurs de la distribution. S'il possédait des outils de prévision parfaits, il pourrait ramener à zéro cet écart entre le prévisionnel et le réel.

Ce mécanisme fait de l'entreprise de messagerie un outil technique au service de la presse.

Cet outil doit obéir à des règles de fonctionnement strictes, la principale étant une application impartiale du barème :
"le barème des tarifs de messageries est soumis à l'approbation de l'assemblée générale. Il s'impose à toutes les entreprises de presse clientes de la société coopérative." (article 12).

Cette loi n'empêche pas les journaux de se distribuer eux-mêmes, mais elle s'inscrit dans un mouvement qui tend à confier à des sociétés extérieures, souvent collectives, des fonctions de l'entreprise. En même temps que se développe un système de messageries coopératif, on voit les éditeurs confier l'impression de leurs journaux à une société nationale, la SNEP, déléguer leurs achats de papier à une société spécialisée (la Société Professionnelle des Papiers de Presse) et demander à Havas de prendre en charge leur régie publicitaire. Cette externalisation va avoir deux conséquences majeures :
- elle va permettre aux entreprises de presse que dirigent des journalistes de se spécialiser dans ce qui parait alors l'essentiel : le texte, la rédaction, l'opinion. Mais ceci se fera au dépens de l'administration des journaux longtemps restée la mal aimée de la presse française ;
- elle va donner aux journaux parisiens, souvent fragiles, recréés à la libération, avec peu de capitaux, les moyens de leur ambition nationale.

Cette loi a d'autres conséquences, notamment en matière commerciale. Elle interdit aux messageries de choisir les titres qu'elles veulent distribuer :
"devra être obligatoirement admis dans la société coopérative tout journal ou périodique qui offrira de conclure avec la société un contrat de transport (ou de groupage et de distribution) sur la base du barème des tarifs" (article 6)

C'est une garantie d'impartialité : pas question de refuser un titre pour des motifs idéologiques ou économiques. Mais c'est plus encore : le distributeur ne peut choisir les titres qu'il vend. Ce qui exclut qu'il les achète : comment obliger un commerçant à acheter l'ensemble des produits de presse? La seule solution est de faire des vendeurs de presse des mandataires. Les exemplaires qu'ils manipulent, mettent en rayon, sont, jusqu'à ce qu'ils soient vendus, la propriété des éditeurs. C'est en amont, donc, chez les éditeurs, que sont prises les décisions d'envoyer du papier. Cette même disposition donne aux éditeurs la liberté de choisir les commerçants auxquels ils confient leur papier et donc de structurer comme ils l'entendent le réseau de vente de la presse, d'accepter ou de refuser l'implantation d'un marchand de journaux. C'est un des mécanismes fondamentaux des messageries qui se met ici en place : les dépositaires et diffuseurs de presse sont des commerçants indépendants, mais ils ne peuvent ouvrir boutique qu'après avoir reçu l'agrément des éditeurs réunis dans une Commission d'Organisation de la Vente.

La force de cette loi discrète dont on parle peu hors les milieux professionnels est d'avoir su conjuguer liberté d'opinion et impératifs économiques.

2 commentaires:

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Excellent portrait d'Etienne Jean Cassignol - dommage qu'il ne contienne pas d'aperçu sur les développements ultérieurs de la carrière de EJ Cassignol..

Anonyme a dit…

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