14. Tempête dans le réseau
Rationaliser les circuits de transport des journaux est une excellente chose. Encore faut-il, pour que cela soit vraiment utile, qu'une fois arrivés sur place ces journaux soient bien vendus. Henri Massot et Guy Lapeyre l'ont compris. Ils entreprendront, dés 1953, la modernisation des maisons de presse. Mais ils auront dû, au préalable, essuyer une véritable tempête.
Il n'y a plus d'argent dans les caisses
En ce début des années cinquante, la France hésite entre la modernité et la tradition. Le réseau commercial des messageries n'échappe pas à cette valse hésitation. Constitué d'une multitude de petits commerçants, il est, avant l'heure, tenté par le poujadisme et réagit très violemment lorsque l'on parle de réduire le taux de sa rémunération.
La remise sur le prix du titre associe deux rémunérations : celle des NMPP (de 13 à 18% selon les catégories de publications en 1947) et celle des dépositaires que le conseil des ministres fixe par décret (entre 25 et 30% selon les catégories de publications en 1947). En période normale, ce mode de facturation ne pose guère de problèmes. Mais, la situation au début des années 50 est tout sauf normale. En 1952, il n'y a plus d'argent dans les caisses de l'Etat. "En supposant que le déficit s'arrête aujourd'hui 17 février, explique le gouverneur de la Banque de France, Wilfrid Baumgartner, au Président Auriol, j'aurais le 10 mars à faire payer par le Fonds de stabilisation, au titre du débit français, 90 millions de dollars ; je n'en ai pas le premier sou."
La lutte contre l'inflation, devenue la plus fidèle compagne des Français, est une nécessité. Tous les gouvernements essaient, les uns derrière les autres, de lutter contre cette montée des prix. Sans succès. Chaque semaine amène son lot d'augmentation : ce sont les tarifs de chemin de fer puis le gaz, l'électricité… L'inflation entretient l'inflation, chacun s'organise en fonction des augmentations à venir, comme l'explique Vincent Auriol dans une lettre qu'il adresse le 21 février 1952 au Président du Conseil, Edgar Faure :
Le blé n'est pas collecté. L'O.N.I.C. manque à son devoir et pourtant cet organisme coûte cher. Il ne se préoccupe pas de faire rentrer le blé qui existe et pourtant il sait bien où il se trouve. Les producteurs retiennent le blé parce qu'ils pensent ou bien à une dévaluation possible, ou bien à une augmentation en juillet-aout prochains de 400 à 500 francs l'hectolitre par rapport au prix fixé en août dernier. C'est un scandale terrible, quand il s'agit de l'avenir du pays. Il faut dénoncer publiquement ce scandale. (Mon septennat, p.421)
Edgar Faure, tombe le 29 février. Le 6 mars, est investi un outsider que personne ne connait vraiment : Antoine Pinay.
Antoine Pinay déclare la guerre à l'inflation
Le personnage n'est guère aimé de ses collègues. On lui reproche ses manières de Monsieur tout le monde, son passé, il a voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, ses relations - il est entouré d'anciens collaborateurs -, certaines de ses déclarations. Cet industriel fortuné est le seul homme politique qui, recevant des journalistes, ait glissé dans la conversation qu'il ne peut acheter qu'un journal par jour : "deux, ce serait trop cher payer pour moi". Le propos peut paraître mesquin, il l'est sans doute, mais il indique qu'Antoine Pinay a compris que l'inflation était aussi affaire de psychologie.
Devenu Président du Conseil, il s'attaque au mécanisme des anticipations inflationnistes. Son objectif est de montrer que l'inflation n'est pas inéluctable. Cela passera par des procédés qui ne sont pas tous pour plaire à cette France commerçante que l'on associe volontiers à Pinay. Ce qui fera dire à Georgette Elgey, une des meilleures historiennes de la Quatrième République, que cet homme politique d'apparence si convenable fut en un sens un "traître à sa classe. Industriel, il ne pense pas, dans ses fonctions ministérielles, à défendre les intérêts de ses pairs. Bien au contraire…" On lui reprochera, d'ailleurs, plus tard, d'avoir été l'un des fourriers du poujadisme.
Son attitude, face aux diffuseurs de presse, est caractéristique de sa manière et de son habileté.
Tout se joue en trois temps :
- on refuse aux journaux les augmentations qu'ils demandent pour répercuter les hausses de papier et de salaires,
- pour éviter qu'ils ne soient pris trop violemment à la gorge, on agit, de manière autoritaire sur leurs coûts (baisse des prix de papier, diminution des remises des dépositaires qui multiplient les hausses plus qu'elles ne les répercutent) ;
- lorsque le mouvement inflationniste se ralentit, on réintroduit un peu de souplesse dans le jeu. On est presque revenu à la situation antérieure, mais les Français ont appris que les hausses des prix n'étaient pas une fatalité : le mécanisme des anticipations inflationnistes a été vaincu.
Vers la grève des diffuseurs?
Tout cela se fait dans la cohue, les protestations, les cris. Raymond Marcellin est alors secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil chargé de l'Information. C'est lui qui suit le dossier et propose de réduire de 5% les remises consenties aux dépositaires pour les journaux, et de 2, 5 ou 7%, selon la taille des dépôts, celles sur les publications.
Dès qu'ils sont informés de ces projets, les dépositaires protestent. Le 6 avril, ceux du sud-ouest décident de faire une grève de 24 heures. Simple avertissement avant la grande réunion prévue à Paris pour le 10.
Ce jour là les marchands de journaux parisiens se sont réunis salle Cadet. Ils sont plusieurs centaines, très énervés. A la tribune, le Président de la Fédération Nationale des Marchands de Journaux, Marcy, chauffe une assistance qui veut en découdre avec le gouvernement. Il sait la situation bloquée. Il le dit aux journalistes qui l'interrogent :
Il y a 99 chances sur 100 pour que le décret passe. Selon M. Bernard, représentant le ministre de l'information qui m'a reçu avant-hier, il peut être pris d'un moment à l'autre, vu l'urgence de l'affaire. Vous connaissez l'atmosphère qui a été créée dans l'entourage du Président du Conseil. Les quotidiens lui ont fait savoir qu'ils seraient dans l'obligation de passer à 20 francs si notre remise n'était pas réduite. L'affaire est donc pratiquement engagée. Nous sommes 1650 marchands affiliés à la Fédération, mais la grève s'étendra à tout le territoire puisque le Syndicat des dépositaires est décidé à nous suivre dans cette voie."
(L'Echo de la Presse et de la Publicité, 18/4/1952)
Poujade n'est encore qu'un papetier de province, mais les esprits sont prêts à recevoir son discours. Le principe d'une grève nationale est voté à l'unanimité.
Va-t-on passer aux actes? Empêcher la distribution des journaux?
Non!
Dans une atmosphère survoltée, alors qu'on ne parle que de fermer boutique, que les plus ardents menacent déjà de descendre dans la rue, Marcy échange quelques mots avec R. Bouchetal. Ce qu'ils se disent se perd dans le brouhaha. Lorsque Marcy reprend le micro, c'est pour proposer un ultime dialogue avec les administrations des journaux.
Lui qui était à l'avant-garde de la contestation, lui qui sait que des menaces ne feront pas céder le gouvernement recule au dernier moment."Se mettre en grève est, dit-il, grave, très grave." Il a la voix cassée d'avoir trop parlé. La tension se lit sur son visage, dans ses mains. Il se tait un instant, puis lance : "Nous pouvons encore négocier."
Il faut plus que du courage pour aller contre une salle chauffée à blanc, mais Marcy a du tempérament. Il a l'audace du joueur et le goût des émotions fortes.
Sa proposition crée un véritable tollé. Il n'y a rien à négocier, rien à discuter. On le sait bien, dialoguer, c'est déjà un peu céder. Et de cela, il n'est pas question! On proteste, on siffle, on s'époumone, on crie à la trahison. Ce n'est plus un chahut, c'est une véritable explosion. La proposition doit être abandonnée, mais le ver est dans le fruit. On a rappelé les marchands parisiens à la raison, ils ont été relativement épargnés par le décret, le gouvernement, habile, ne les a pas traités avec la même sévérité que leurs collègues de province. Il suffit de cela pour casser le mouvement. Les décrets du 18 avril 1952 qui réduisent les remises faites aux dépositaires seront appliqués dans la mauvaise humeur mais sans autre manifestation.
Quelques semaines plus tard, en mai, le Journal Officiel publie de nouveaux barèmes qui instituent notamment une remise complémentaire de 5% pour les ventes de publications périodiques dans les villes de plus de 500 000 habitants.
Le premier réseau de vente moderne
Les menaces de grève des diffuseurs sont à peine enterrées, que Guy Lapeyre décide de créer un bureau de la propagande. Le nom est vieillot, l'objectif ne l'est pas : il s'agit de rénover et moderniser le réseau de maisons de la presse en s'appuyant sur les nouvelles techniques de vente importées des Etats-Unis qu'essaient timidement quelques grands de la distribution.
"Pousser la vente des journaux"
Il y avait beaucoup à faire. La boutique du marchand de journaux n'avait pas changé depuis la fin du siècle dernier. Etroite, sombre, encombrée de papier, de papeterie, de bonbons, elle ne donnait guère envie d'acheter. Impossible de voir les couvertures des magazines, au mieux pouvait-on deviner les titres des quotidiens sous la pince à linge. Quant à la consultation, elle était carrément impossible. On ne pouvait accéder à la moindre publication sans la demander au marchand. Autant dire que l'on n'avait aucune chance de tomber par un hasard sur un titre inconnu.
Guy Lapeyre confie ce travail à un collaborateur d'Hachette, Michel Letellier, qui vient de procéder à la modernisation des bibliothèques de gare. Il le fait avec l'accord du Conseil Supérieur des Messageries. Henri Massot dit qu'il ne faut pas que les messageries se considèrent seulement comme des entreprises de transport : "Ce sont des entreprises qui doivent pousser la vente de tous les journaux."
En quelques années, ce bureau au nom retro, va entièrement transformer l'appareil commercial des NMPP et créer les maisons de la presse moderne.
Paradoxalement, son action, décisive pour le développement de la presse, est aujourd'hui à peu près totalement oubliée. Il faut se plonger dans la littérature, dans les comptes-rendus que donne la revue des dépositaires des aménagements de magasin, mois après mois, numéro après numéro, pour mesurer l'effort accompli à partir de 1953. Aux NMPP, nul ne s'en souvient. Aucune archive ne conserve la trace des voyages incessants faits par les quelques membres de ce bureau de propagande, de leurs réflexions. Les plans des magasins ont disparu, les rapports d'études, les notes de service, tout ce qui pourrait donner un éclairage sur la manière dont se sont passées ces aménagements ont été perdus, jetés, abandonnés. On n'a pas gardé trace des rapports que Guy Lapeyre avait fait réaliser sur la productivité du commerce à la demande des missions de productivité.
Tout se passe comme si tout ce qui fit du réseau de distribution de la presse l'un des plus modernes, avait été oublié, effacé des mémoires. Il y a, à cela, plusieurs explications. La culture de l'entreprise, plus technicienne que commerciale, n'a sans doute pas saisi l'ampleur de ce changement. Les principaux acteurs de ce changement n'en ont pas porté la légende : Michel Letellier, qui fut l'initiateur, le promoteur de cette mutation n'était pas vraiment un homme des messageries. Il n'y finit d'ailleurs pas sa carrière. Ses deux principaux collaborateurs, Vinçon et Corjon, durent quitter l'entreprise dans des conditions difficiles. Le rôle du bureau de propagande, enfin, ne trouva jamais de traduction dans l'organigramme. Ce n'est que bien plus tard, à la fin des années 60, que l'on créa au sein de l'entreprise une direction commerciale. Le programme de modernisation des magasins de presse était depuis longtemps achevé.
Cependant, cette action menée, au tout début des années cinquante, alors que Pierre Poujade réveille le commerce traditionnel, va donner aux éditeurs de publications périodiques l'outil dont ils ont besoin pour vendre leurs magazines. Elle va, simultanément, faire de l'ensemble des points de vente un véritable réseau commercial moderne, avec enseigne, image… et mettre les dépositaires à l'heure de la modernité.
La France des consommateurs
Cette action se situe en plein dans le mouvement de renouvellement de la distribution et du commerce. L'année même de la constitution, aux NMPP, de ce bureau de propagande, des financiers créent le CETELEM, organisme de crédit à l'équipement électroménager. Quelques mois plus tard, naissent la FNAC et le Club Méditerranée dont Gilbert Trigano prend la présidence.
Le temps de la pénurie est fini, on s'oriente vers celui de l'abondance. Les commerçants qui avaient fait profession de distribuer apprennent à vendre, à séduire. On commence à parler de consommateurs (c'est la naissance de ce qu'on appellera un peu plus tard avec une pointe d'ironie la société de consommation), les spécialistes inventent toutes les techniques qui sont aujourd'hui le b.a.ba du marketing.
Des articles publiés dans la presse américaine, les récits des premiers visiteurs envoyés par le ministère de l'industrie outre-Atlantique font découvrir les abîmes de la psychologie de l'acheteur. Dans La Persuasion Clandestine, Vance Packard raconte cette naissance et ce qu'elle amena de surprises aux industriels qui découvrirent le poids de l'image :
"Une brasserie qui fabriquait deux sortes de bières procéda à une enquête pour savoir quel genre de personnes buvaient chacune des deux sortes, ceci à titre d'indication pour ses représentants. On demanda donc aux gens : "Buvez-vous l'ordinaire ou la plus légère?" A l'étonnement de l'enquêteur, la bière légère, d'après les réponses, avait trois fois plus d'amateurs que l'autre. Or, en vérité, depuis des années, pour satisfaire la demande des consommateurs, la brasserie fabriquait neuf fois plus de bière ordinaire que de bière légère. Elle en conclut donc qu'en posant sa question elle avait, au fond, demandé : "Buvez vous ce que préfèrent les personnes d'un goût raffiné ou simplement la qualité courante?"
C'est à la même époque que l'on commence à parler de productivité du commerce. On découvre la demande, on invente le libre-service : le client peut regarder, choisir lui-même.
En ce domaine, la France revient de loin. Rares sont ses chefs d'entreprises qui prennent au sérieux la fonction commerciale. Lorsque l'on demande de détacher de jeunes ingénieurs de qualité dans les services commerciaux, ils sont nombreux à répondre : "il est absurde de stériliser un garçon de cette valeur en le dirigeant sur le commercial." Au tout début des années 50, seuls quelques pionniers s'intéressent aux techniques du libre-service.
C'est en juillet 1948 que Goulet-Turpin ouvre à Paris le premier magasin français en libre-service. Suivent d'autres expériences pilotes dans d'autres chaînes. Malgré des conditions souvent difficiles et des conditionnements qui laissent à désirer, les résultats sont très encourageants : là où ces techniques sont appliquées, le chiffre d'affaires augmente en moyenne de 25%. Il faudra, cependant, attendre plusieurs années avant que cette expérience ne soit généralisée :
"On injectait, raconte Henry Toulouse, le Président du Conseil de Direction de Paridoc, un des grands noms de la distribution alimentaire, le libre-service à des magasins cobayes choisis assez souvent au hasard et on observait l'évolution de la maladie. La fièvre constatée dans la plupart des cas, fièvre salutaire et désirée, se maintiendrait-elle d'une manière durable ou ne serait-elle qu'un feu de paille? Les expériences étaient encore à ce moment trop récentes, trop neuves pour qu'il puisse être répondu à cette question."
C'est aux Etats-Unis que le commerce a pris la plus grande avance. Les responsables du service de propagande s'y rendent. Ils visitent aussi d'autres pays européens. Ils interrogent ceux qui en France sont des pionniers : Sven Sindrichin qui suit ces questions pour Simca-Ford, Pierre Cornet, directeur des ventes de Philips, Félix Damoy, le créateur de Moderdam.
Ils apprennent les grands principes du commerce moderne :
- augmentation de la surface d'exposition. A surface au sol égale, explique l'un des dirigeants de Monoprix, on augmente de 100% la surface d'exposition des marchandises ;
- libre circulation qui multiplie les contacts client-marchandise et les occasions d'achat.
Ils découvrent ce qui est devenu le b.a.ba de l'animation d'un réseau commercial : il faut que l'on puisse reconnaître le magasin, il faut donc une identité visuelle. Ils se convainquent des vertus d'une approche rigoureuse de la vente. Pour bien vendre, il ne suffit pas d'avoir du bagout, il faut connaître ses clients.
En cette fin des années de pénurie, les grands distributeurs apprennent à observer leurs clients, à analyser leurs comportements. Ils s'inquiètent de leurs mobiles (on dira bientôt "motivations"), se demandent si le libre service n'est pas réservé aux classes moyennes (les femmes d'ouvriers qui servent toute la journée leur famille ne préfèrent-elles pas être servies lorsqu'elles font leurs courses?), interrogent ces sondages qui montrent qu'un tiers des clients viennent dans ces magasins d'un nouveau style sans savoir exactement ce qu'ils vont acheter et qu'un autre tiers achètent plus qu'ils avaient prévu.
On fait des comptages, on chronomètre (comme dans les usines), on découvre qu'un client passe toutes les 29 secondes dans un libre service pour laisser 285F quand on n'encaisse que 260F toutes les 45 secondes dans un magasin ordinaire. On apprend que les résultats sont aussi bons dans les petits magasins que dans les grands. On s'inquiète de l'organisation de l'espace : où faut-il situer les portes d'entrée et de sortie? Le coté droit est le meilleur, assurent les spécialistes, parce que les femmes utilisent leur bras gauche pour porter leur panier, laissant la main droite libre pour choisir des marchandises. On cite des chiffres étonnants, jamais vus : le jour de leur ouverture, les Nouvelles Galeries de Strasbourg ont augmenté leur chiffre d'affaires de 100%.
Le bureau de propagande
Aux NMPP, Guy Lapeyre fait réaliser une étude sur la productivité du commerce tandis que le bureau de la propagande étudie la configuration du magasin idéal. Le modèle retenu est celui que l'on connait aujourd'hui avec ses grandes baies ouvertes sur l'extérieur, ses surfaces d'exposition où tous les journaux et revues peuvent être exposés, ses présentoirs qui laissent le client choisir, consulter librement. Un magasin témoin est créé au 4ème étage du 111 rue Réaumur. Tous les dépositaires qui passent à Paris sont invités à venir le visiter. On n'hésite pas à le leur vendre. C'est que l'on s'est donné des objectifs ambitieux : on veut installer 40 magasins/mois, 500 magasins/an. Le rythme sera à peu près tenu : 500 magasins ont été transformés le 1/5/53, 600 le seront en août, 700 en septembre… et l'effort se poursuit. Le 2500ème est inauguré le 13 mai 1959.
Il a fallu dessiner le magasin. Il faut, aussi, reprendre tout le mobilier, supprimer les ficelles, pinces à linge et autres bouts de bois qui faisaient l'ordinaire des marchands.
Les NMPP prennent en charge la réalisation des gondoles, des présentoirs. Elles assistent les dépositaires dans la reconfiguration de leurs magasins, mais les laissent libres de choisir leurs fournisseurs. Plus tard, lorsque le programme sera bien engagé, le service de propagande établira des listes d'entrepreneurs recommandés.
Le matériel est fabriqué dans deux usines et vendu à prix coûtant. Le chiffre d'affaires qu'en tirent les NMPP montre l'intérêt que suscite l'opération chez les dépositaires :
- 23 millions pour les 8 mois d'activité de 1953,
- 118 millions en 1954,
- 176 en 1955,
- 166 sur les 8 premiers mois de 1956 (chiffres cités par Masson-Forestier dans un rapport au Congrès de la FNPF)
Les résultats sont extrêmement encourageants. On assiste à des progressions du chiffre d'affaires qui atteignent les 100% comme à Fougères où un sous-dépositaire double son chiffre d'affaires. La moyenne se situe autour de 25% et ceci sans diminuer les ventes des magasins voisins qui ne sont pas modernisés : une meilleure présentation du papier incite le client à acheter plus de journaux.
Chez un dépositaire de Chartres, M. Souze, le chiffre d'affaires a augmenté de 500 000F alors que la modernisation d'un magasin comme le sien coûte entre 400 et 800 000F. Dans les meilleurs cas, le temps de retour de l'investissement n'excède pas l'année.
Le service de propagande connait une croissance très rapide. Il employait 5 personnes en juin 1953. Il en emploie 42, dont 5 cadres, 7 inspecteurs et 4 dessinateurs, en juin 1956 lorsque son directeur répond aux questions du Dépositaire français (6/56).
Plus que les quotidiens, ce sont les périodiques, mal exposés, qui profitent de ce nouvel éclairage, ce sont eux qui voient leurs ventes augmenter. Un vieux professionnel, le président d'honneur du Syndicat National des Dépositaires Georges Parmentier, l'explique bien :
La clientèle attitrée de Elle qui, en achetant son magazine favori, aperçoit sur la couverture de Marie-France, judicieusement mise en valeur, telle robe ou chapeau qui flatte son envie, ne manquera pas, huit fois sur dix, d'emporter les deux revues.
Pour le marchand de journaux, l'effort de présentation a payé. Et, en dehors de lui-même, tout le monde a trouvé son compte, le dépositaire comme l'éditeur.
(Entretien publié dans L'Echo des Dépositaires, 1954)
Ces magasins modernisés vont accompagner, porter les nouveaux magazines que les éditeurs préparent en cette fin des années 50.
La fin du colportage
En même temps que se développe ce formidable outil de vente des publications, un autre, tout aussi efficace, mais plutôt réservé aux quotidiens, dépérit : le colportage.
Le procédé, intermédiaire entre l'abonnement et la vente au numéro, se prête bien à la distribution des quotidiens dans les petites villes. Le colporteur va porter le journal directement chez ses clients, tôt le matin, et collecte l'argent chaque semaine ou chaque mois. Le procédé, très utilisé à l'étranger, est efficace. Il fidélise le client, lui évite des déplacements, établit une relation directe entre le titre, représenté par son colporteur, et le lecteur : il faut de bons motifs pour dire à qui vous apporte chaque jour votre journal qu'on n'en veut plus. Le portage à domicile réduit enfin au strict minimum les invendus puisqu'il permet un réglage très fin.
Ce procédé a contre lui d'être cher, surtout là où on ne peut pas utiliser une main d'œuvre bon marché. Ce sont, aux Etats-Unis, pays où on le pratique beaucoup, des lycéens qui portent les journaux. En France, ce sont des travailleurs indépendants. Ils ont des marges étroites et, du fait même du prix des journaux, des chiffres d'affaires très faibles. Le colportage est de ces activités que le paiement de charges sociales, même réduites, rendent difficilement viables.
Dans l'entretien que nous avons déjà cité, Georges Parmentier demande que les administrations des journaux fassent un effort :
L'éditeur, explique-t-il, doit consentir quelques sacrifices par l'attribution de commissions ou d'allocations, car le travail du colporteur est de plus en plus dur, par suite de l'accroissement du nombre de journaux, ce qui lui fait une charge de papier considérable s'il veut servir ses clients dans le minimum de temps. Le colporteur parcourt chaque matin plusieurs fois le trajet d'un facteur ordinaire et a de plus la responsabilité des paiements.
(Entretien publié dans L'Echo des Dépositaires, 1954)
Seuls les éditeurs régionaux, les Dernières Nouvelles d'Alsace, La Voix du Nord, Nord-matin… ont vraiment fait cet effort. Ils y ont gagné une grande densité de lecteurs dans leur territoire.
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