20. La chute de Guy Lapeyre
En cette deuxième moitié des années 60, tous les cadres entrés aux messageries Hachette avant la guerre partent à la retraite, un ruban de la légion d'honneur au revers. Une nouvelle génération prend les commandes. C'est à Jean Hamon, Jean Bardon, Maurice Audouin, Michel Letelier, Paul Musset… à tous ces cadres entrés dans l'entreprise depuis 1945 que Guy Lapeyre confie les dossiers nouveaux. Il le fait à sa manière, mélange de confiance et de brutalité. On l'a vu, à propos de l'informatique, il aime comprendre. Mais il n'est pas homme à se lancer dans de grandes discussions théoriques. Il a, lui aussi, à sa manière l'esprit papier. Il veut que les choses fonctionnent, roulent, tournent. Et il a su communiquer à ses jeunes diplômés ce goût de l'efficacité.
Une grande entreprise, une structure de PME
De tous ces "nouveaux", Maurice Audouin est sans doute celui qui a le mieux saisi cette exigence. C'est, selon le témoignage d'un de ses vieux amis, le "chouchou" de Guy Lapeyre. Le directeur général se reconnait dans ce garçon direct, vigoureux qui aime la technique, a appris à compter et n'hésite pas à donner, lorsque nécessaire, un coup de main aux porteurs.
Ces quelques jeunes cadres, ils ne sont pas plus d'une poignée, vivent comme poisson dans l'eau dans une organisation aux lignes de commandement très courtes. Il n'y a personne entre eux et Guy Lapeyre ou Raoul Bouchetal, personne non plus entre eux et ceux qui, sur le terrain, exécutent.
On ne pratique pas l'art de la réunion aux NMPP. On évite les rapports, les dossiers, les comptes-rendus. On se veut, d'abord, opérationnel, efficace. Des notes brèves, quelques mots, pas plus, sur une feuille de la taille d'une fiche, suffisent à informer qui doit l'être. On ignore ces grands messes où, sous couvert d'obtenir le consensus, cadres jeunes et moins jeunes passent des journées entières à fouiller le moindre projet dans le plus petit détail. Une fois qu'on s'est donné un objectif, on agit sans se soucier de faire de longues études : l'entreprise est riche et l'urgence justifie que l'on applique des solutions qui paraîtraient ailleurs coûteuses.
A manager sans papier, on évite la bureaucratie et les épaisses couches de cadres intermédiaires. Dans un univers très hiérarchisé, pyramidal, où tout remonte vers le haut selon un schéma dont Henri Fayol a fait la théorie au début du siècle, on fait l'économie des conflits entre services. L'unité de commandement est la règle, la voie hiérarchique la loi.
Dans les grandes entreprises, dans les administrations de l'Etat, cette voie hiérarchique peut être "désastreusement longue". Les NMPP sont, par la taille, une grande entreprise. Mais elles ont su conserver quelque chose de cette petite entreprise dans laquelle "l'intérêt général, c'est-à-dire celui de l'entreprise elle-même, est facile à saisir et le patron est là pour rappeler cet intérêt à ceux qui seraient tentés de l'oublier" (Henri Fayol, Administration industrielle et générale).
Guy Lapeyre et Raoul Bouchetal ont laissé les NMPP se développer avec les structures d'une PME. Il n'y a pas, en 1967, de direction commerciale aux messageries. Pas de direction financière, pas de direction des relations sociales, pas de direction industrielle… Il y a des zones de compétences : les relations avec le réseau confiées à Raoul Bouchetal, l'organisation technique, que suit Guy Lapeyre, le personnel que Jean Hamon prend progressivement en main… mais cela suffit. Pour ses dirigeants, pour les éditeurs qui au conseil de gérance prennent les grandes orientations, les NMPP sont un outil technique, une machine conçue pour diffuser le papier qu'impriment les journaux. Rien d'autre.
Cette structure s'adapte à un univers complètement taylorisé où chacun sait ce qu'il a à faire, le fait bien, vite, sans se poser de questions ni discuter. Elle ne pose problème que lorsqu'apparaissent des problèmes inédits. Les cadres doivent alors mettre la main à la pâte.
Ce sont Maurice Audouin et Jean Bardon, et non quelques jeunes collaborateurs fraîchement embauchés, qui vont, gare de Lyon, examiner, mesurer, compter les sacs de journaux en attente. Cela leur donne une connaissance parfaite de l'entreprise, de ses moindres rouages. Personne ne peut leur en compter. Ils ont, ce sont les seuls, une vision globale de son fonctionnement et de son organisation. Ils savent mieux que quiconque ses contraintes.
Ils appartiennent à une autre génération que les organisateurs qui ont monté avant guerre le système Hachette. Mais toute leur expérience leur en a enseigné les vertus. Ils ont appris que seuls les systèmes automatiques sont vraiment fiables dans des environnements où l'urgence est la priorité. Sans avoir jamais fait l'expérience de l'usine, ils sont intimement convaincus des qualités d'une organisation taylorienne et toutes leurs solutions en sont imprégnées.
Tous ces cadres embauchés au lendemain de la guerre ont passé la quarantaine, ils ont fait leur preuve et se sentent en mesure de prendre le pouvoir dans l'entreprise.
L'homme de l'ombre
Alors même qu'ils prennent plus d'autonomie, les deux dirigeants historiques des NMPP s'éloignent. Raoul Bouchetal est malade. Guy Lapeyre a d'autres ambitions. Il continue de suivre les dossiers, d'intervenir dans les grandes décisions, on l'a vu à propos de l'informatique et des invendus, mais il a l'esprit ailleurs.
Deux sujets l'occupent : les élections présidentielles et la succession de Robert Meunier du Houssoy, le Président de Hachette. Elles le conduiront à sa chute.
Le premier septennat du Général de Gaulle touche à son terme. Des élections présidentielles sont prévues en 1965. L'opposition cherche son candidat. Le 12 janvier 1964, Gaston Defferre répète qu'il sera candidat si la SFIO l'investit : "L'opinion, dit-il, se rendra compte que ce n'est pas de Gaulle ou le néant, de Gaulle ou l'aventure, mais qu'il y a le choix entre deux politiques." D'autres noms circulent : on parle de Louis Armand, de Pierre Sudreau, d'Antoine Pinay.
Le 7 mai Jean Lecanuet est élu Président du MRP. Dans son discours d'investiture, il se prononce contre de Gaulle et G. Defferre. Les mois qui suivent seront occupés à préparer sa candidature.
Tout est alors fluide dans l'opposition et toutes les combinaisons paraissent possibles. Fort de son autorité sur les messageries, de son poids dans le groupe Hachette dont il est devenu administrateur, de ses contacts avec les hommes de la 4ème République qu'il a beaucoup fréquentés lorsqu'ils étaient au pouvoir, de ses moyens, aussi, Guy Lapeyre est de tous ces contacts.
Est-il, comme on l'a parfois dit dans son entourage, l'homme de toutes ces combinaisons? Ce n'est pas certain. Mais il joua certainement un rôle important pendant cette période. Il connait tout ce qui compte d'antigaullistes non-communistes. Ses amitiés au sein du MRP sont anciennes, solides, il a aidé G. Bidault dans son exil au Brésil. Ses contacts avec les radicaux, les socialistes, dont il ne partage pas les idées, lui qui serait plutôt maurassien de tempérament, ne sont pas moins nombreux. Il reçoit, rapproche, réunit, fait se rencontrer les opposants au général. Les déjeuners se multiplient rue Réaumur. Certains ne manquent pas de sel, comme celui où l'on voit Guy Mollet expliquer qu'il ne saurait, lui, le rationaliste, s'allier à des spiritualistes. Il ne dit pas "calotin", mais on devine qu'il a le mot sur le bout de la langue.
Le grand ordonnateur de ces déjeuners politiques est Paul Verneyras, ce député MRP qui fit capoter en 1948 le projet de statut de la presse que Robert Bichet voulait faire voter au Parlement. C'est un vieil ami de Guy Lapeyre, dont il est devenu le conseiller. Proche de l'évêché, intime de Georges Bidault qu'il a caché dans son appartement de l'avenue Secrétan avant qu'il ne parte pour le Brésil, il est très introduit dans les milieux politiques. Il est tombé amoureux de Jean Lecanuet et communique à Guy Lapeyre toute l'admiration qu'il porte au jeune député de Rouen. "C'était alors, dit-il aujourd'hui, un garçon merveilleux. Nous avions mis en lui tous nos espoirs."
A soixante ans passés, le Directeur Général des Messageries devient militant. Sa cause, son objet : le tout nouveau Président du MRP. Se souvient-il du jeune chef de cabinet de Robert Bichet, lorsque celui-ci était ministre de l'information à la libération? C'est possible. L'intelligence du maire de Rouen, ses idées trempées au bon sens démocrate-chrétien, sa rigueur, son honnêteté le séduisent, l'enthousiasment.
On présente souvent les hommes de l'ombre, les éminences grises dans les habits du cynique sans autre cause que leur intérêt ou leur plaisir. Guy Lapeyre n'est pas de cette famille. Il a choisi Jean Lecanuet parce qu'il devine en lui l'étoffe d'un chef d'Etat. Il met sa conviction au service du candidat du centre.
Avec 15, 6% des voix au premier tour, Jean Lecanuet réussit ce qu'aucun commentateur n'avait imaginé : aider François Mitterrand, le candidat de la gauche, à mettre le général de Gaulle en ballottage. Les prochaines élections législatives, en mars 1967, devraient permettre ce que l'élection présidentielle n'a pas autorisé : la nomination d'un gouvernement qui ne soit plus dominé par les gens de l'UNR. Le directeur général des NMPP reprend son bâton de pèlerin.
Cet antigaullisme militant ne reste pas ignoré. On s'en émeut à l'Hôtel Matignon où l'on a appris que Guy Lapeyre, non content de recevoir Jean Lecanuet, avait aussi des contacts avec François Mitterrand, qu'il faisait le lien entre l'un et l'autre. Si l'on en croit certains échos de presse, Georges Pompidou serait intervenu auprès de Robert Meunier du Houssoy, le Président de Hachette, pour qu'il y soit mis un terme.
La Librairie est trop tributaire des marchés publics pour rester longtemps indifférente aux injonctions du pouvoir. Comme l'écrira quelques mois plus tard l'Express, Robert Meunier du Houssoy "ne peut oublier ce qui fit d'un éditeur parmi les autres, Louis Hachette, dont il est l'arrière petit-fils maternel, le premier éditeur de France : sous Louis-Philippe, Guizot lui a commandé 500 000 syllabaires pour les écoles primaires. Cette tradition du livre de classe lui interdit les prises de position antigouvernementale." (L'Express du 2/1/67)
La lutte pour la succession de Meunier du Houssoy
La Librairie est d'autant plus attentive à ces injonctions du pouvoir que les relations entre Robert Meunier du Houssoy et Guy Lapeyre sont, depuis plusieurs mois, tendues.
A 78 ans, le président de la Librairie Hachette pense à sa retraite. Guy Lapeyre se verrait bien à sa place. Il le suggère haut et fort, et dit partout, que les héritiers Hachette sont incompétents, inutiles… "Je me souviens de l'avoir entendu dire qu'il fallait leur donner une belle maison, beaucoup de domestiques, une voiture de luxe, un chauffeur et leur interdire de venir travailler à la Librairie" assure un témoin. Alla-t-il, comme un autre témoin le soutient, jusqu'à dire publiquement que Meunier du Houssoy était devenu gâteux? Il est aujourd'hui difficile de le vérifier, mais qu'on ait pu lui prêter ce propos indique le ton des relations qui s'étaient établies entre le boulevard Saint Germain et la rue Réaumur.
D'autres que Guy Lapeyre s'inquiètent de la manière dont est dirigée la Librairie. Des banquiers membres du conseil d'administration demandent, en 1964, l'institution d'un conseil de surveillance pour contrôler la gestion des héritiers Hachette. Guy Lapeyre entretient avec eux des relations étroites. Est-il leur candidat à la succession à la tête de la Librairie? Paul Verneyras assure qu'on lui avait promis la place. Il fait, en tout cas, comme si. Il envoie deux de ses collaborateurs, Maurice Audouin et Christian Rossner, moderniser la comptabilité de la Librairie. Ce qui ne plaît pas à tout le monde.
Maurice Audouin n'est pas là depuis trois semaines que Bernard de Fallois, un des collaborateurs directs de Guy Schoeller (le fils de René, qui fut avant-guerre directeur des messageries, on reste dans un monde étroit), le renvoie rue Réaumur. L'aplomb de Guy Lapeyre, ses manières d'avancer comme en terrain conquis en agacent plus d'un boulevard Saint Germain où tout le monde sait que Meunier du Houssoy veut confier sa succession à l'un de ses neveux : Ithier de Roquemaurel. Cet arrière petit-fils de Louis Hachette ne manque pas d'atouts. Ancien élève de l'école Centrale, il a dirigé une des grandes filiales de la Librairie, Brodard et Taupin, et bénéficie, c'est sans doute l'essentiel, du soutien d'un autre grand baron du groupe, qui n'a jamais caché ses sympathies gaullistes : Pierre Lazareff, le patron de France-Soir.
Lapeyre et Lazareff ne s'aiment guère.
"Il est de notoriété publique, écrit alors L'Echo de la Presse (16/1/67), que les deux hommes s'étaient voué réciproquement une haine tenace. Depuis dix ans, plus peut-être, et pour ainsi dire à chaque conseil d'administration tenu boulevard Saint Germain, M. Lapeyre agissant à ses yeux au nom des intérêts de la maison Hachette, mettait en cause directement ou par prétérition la gestion de M. Lazareff (…) lui reprochant un certain laisser-aller générateur de dépenses superflues ou abusives. Le mot-clef de M. Lapeyre revenait souvent : "La famille Lazareff coûte tant et c'est 50% de trop."
Ni ses amitiés politiques, ni son ambition n'auraient sans doute suffi à faire tomber Guy Lapeyre s'il n'avait donné prise à Pierre Lazareff et à ses amis. C'est, paradoxalement, sur sa gestion, un domaine que personne n'avait jamais contesté, qu'est tombé le successeur de René Schoeller.
Guy Lapeyre démissionne
Un homme a joué dans cette affaire un rôle décisif : Henri Massot. Le Président du Conseil Supérieur des Messageries est aussi le patron de Paris-Presse, un titre dont les pages se confondent, depuis le 14 juin 1965, avec celles de France-Soir. Il s'entend bien avec Guy Lapeyre qu'il apprécie. Mais il ne peut rien refuser à Pierre Lazareff et est en conflit ouvert avec Emilien Amaury qui a un de ces caractères entiers qui font les grandes inimitiés.
En ce milieu des années 60, le patron du Parisien Libéré a besoin d'argent pour financer son groupe et racheter, en mai 1965, l'Equipe.
De l'argent, il y en a aux NMPP. Emilien Amaury demande donc à Guy Lapeyre de lui faire des conditions particulières. Celui-ci accepte, en décembre 1964, par un accord verbal de libérer le Parisien Libéré des frais spéciaux des trains et d'avion, avec effet rétroactif au 1er juillet. Le 31 décembre, les NMPP donnent au groupe Amaury un chèque de 526 000F. correspondant aux sommes versées depuis le 1 juillet. En juin 1965, cet accord est étendu à la Sopusi, l'éditeur de l'Equipe.
Cet accord verbal, pris sans qu'en ait été informé le Conseil de Gérance pose une question de fond, presque de doctrine : le directeur Général des Messageries a-t-il le droit d'accorder une remise spéciale à un éditeur?
"M. Lapeyre, explique alors l'Express, estime qu'une politique d'expansion implique que les NMPP disposant de beaucoup d'argent liquide puissent aider tel ou tel journal. M. Massot n'accepte que dans des cas exceptionnels. En juin dernier (1966), l'affaire s'envenime. M. Massot finit par demander le compte de chaque journal, pour qu'on voie lequel a été soutenu par un prêt important. Les chiffres donnent leur secret : M. Lapeyre parait avoir avantagé, par stratégie commerciale, le groupe du Parisien Libéré (…) M. Massot va trouver alors M. Meunier du Houssoy en l'invitant à arbitrer entre M. Lapeyre et lui."
Lorsqu'il reçoit Guy Lapeyre, le 16 décembre 1966, Robert Meunier du Houssoy a pris sa décision. D'un mot, d'un seul, il peut résoudre tous ses problèmes : satisfaire Matignon, régler sa succession, mettre un terme au vieux conflit qui oppose les barons de son groupe, étouffer dans l'œuf la grogne des éditeurs. Il lui suffit de demander au Directeur Général des Messageries sa démission. Ce ne sera même pas nécessaire.
Guy Lapeyre sait-il lorsqu'il arrive Boulevard Saint Germain, le 16 décembre, qu'il a perdu la bataille? Il a tenté, quelques jours plus tôt une dernière manœuvre : il a décidé de réduire de 50% les frais spéciaux pour tous les titres et d'appliquer cette mesure rétroactivement à partir du 1er avril. Mais elle s'est aussitôt retournée contre lui. Emilien Amaury ne veut pas payer ce qui lui était donné gratuitement. Il réagit brutalement et fait publier dans un des hebdomadaires qu'il dirige, Carrefour, une vigoureuse attaque contre les NMPP. Il y publie des chiffres jusque là resté confidentiels, comme la rémunération de la Librairie Hachette (1% du CA des NMPP moins les invendus) et y fait feu de tous bois : retards, coûts, rôle de Hachette dans la distribution de la presse… C'est mauvais signe.
L'atmosphère de cette rencontre est détestable. Lapeyre et Meunier du Houssoy se connaissent depuis trop longtemps pour ne pas aller directement au but :
- Vous n'auriez pas du faire cela sans m'en parler. C'est une grosse erreur. Je pourrais demander votre démission, dit d'entrée le Président de la Librairie.
Guy Lapeyre est nerveux, fatigué, malade. Depuis plusieurs mois, il prend médicaments sur médicaments. Son bureau est devenu une véritable pharmacie. Plutôt que de négocier, de temporiser, de jouer au plus fin, il s'emporte :
- Ma démission? Vous l'avez!
La colère, l'ambition, le mépris, tout ce qui bouillonne en lui depuis des mois monte à la surface. Lui, le manager qui s'est fait seul, qui a sauvé cette maison, qui l'a reconstruite quand elle était en perdition, ne respecte plus ce vieillard qui ne pense qu'à ses régates en Méditerranée. Longtemps il l'a caché. Il n'en a plus la force.
Le cadeau est trop beau. Meunier du Houssoy qui hésitait, quelques secondes plus tôt sur la meilleure manière de sortir vainqueur de ce duel, se contente d'un simple mais très sec :
- C'est parfait.
Tout était joué. Guy Lapeyre n'avait plus qu'à partir. Ce qu'il fit aussitôt.
Aurait-il pu se battre? Du moins, aurait-il pu développer deux arguments :
- les frais spéciaux étaient restés hors-barèmes. On pouvait donc penser qu'ils relevaient de la seule compétence du directeur général ;
- les barèmes pénalisaient le Parisien Libéré (mais non l'Equipe) distribué à 90% dans la région parisienne (sans entrer dans trop de détails, disons, qu'on appliquait le même tarif à la banlieue et à la province).
Il aurait pu expliquer qu'il avait pris cette mesure, non pour avantager le groupe Amaury mais, au contraire, pour compenser les effets pervers du barème. Il ne l'a pas fait. Sans doute, est-il resté jusqu'au dernier moment convaincu qu'il l'emporterait.
Les NMPP reprendront ces mêmes arguments quelques semaines plus tard à leur compte, lorsqu'il leur faudra négocier avec les éditeurs la sortie de cette affaire.
Beaucoup de ceux qu'il avait jusque là accompagnés l'abandonnèrent. Ceux qu'il avait aidés, soutenus, financés parfois l'oublièrent, se détournèrent de lui. Les témoins se souviennent encore avec une pointe de mélancolie de l'enterrement de Cino del Duca dans l'église de la Madeleine. Tout le ban et l'arrière ban de la presse parisienne était présent. Lapeyre, aussi.
Lorsque vint le défilé, ceux qui l'avaient fêté, encensé pendant des années passèrent près de lui sans le saluer. Personne, ni ses collaborateurs dont il avait fait la carrière, ni les éditeurs qu'il avait aidés dans les moments difficiles, ni les hommes politiques qu'il avait reçus à sa table, personne ne vint lui serrer la main. On devine l'amertume de celui qui s'était cru un temps assis dans le fauteuil d'Edmond Fouret.
Seul Paul Verneyras, l'ami de tous les mauvais coups, était resté près de lui, partageant ce bureau sur lequel il essayait, lui l'autodidacte, l'homme de parole, d'écrire ses mémoires. Exercice douloureux, impossible : chaque soir, avant de rentrer chez lui, il déchirait ce qu'il avait écrit dans la journée.
Sa mort, quelques mois plus tard, vint mettre un terme à ce qui fut sans doute une des plus belles carrières industrielle de sa génération.
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